Comment améliorer la qualité de vie au travail ? L’agilité peut-elle être une réponse pour améliorer la QVT (qualité de vie au travail) ?
La qualité de vie au travail (QVT) est un concept apparu dans le prolongement de courants de pensée. Elle met en lumière les limites du taylorisme : notamment la démotivation, le sentiment d’aliénation. Et par ricochet, leurs impacts négatifs sur la qualité et la productivité.
Les origines de l’agilité sont également en réaction à l’héritage tayloriste. Dès les années 1950, William Edwards Deming ouvre une voie à contre courant du taylorisme dominant. Le professeur Deming met en lumière des concepts tels que l’autogestion et le positionnement du leader au service des équipes. Il traite aussi des problématiques concernant l’esprit d’équipe, la valorisation de relations basées sur la confiance, l’apprentissage et l’amélioration continue. Il s’agit de mettre les employés en capacité d’agir, de s’améliorer et d’être fiers de leur travail.
Toyota : un exemple des pratiques Lean dans l’entreprise
Cette pensée novatrice inspire à cette même période les pratiques Toyota. En 1990, Jones et Womack reconceptualisent ces pratiques, en rupture avec le taylorisme, sous l’appellation Lean.
Ces pratiques Toyota et leur conceptualisation Lean vont finalement se développer dans la production logicielle. De nombreux experts expérimentent des modes de gestion de projet alternatifs. Cela leur permet de déjouer les excès de la division du travail et de la prédiction, hérités de la pensée tayloriste.
En 2001, 17 experts en développement informatique formalisent les valeurs et principes qui leur sont communs : c’est le Manifeste Agile. Il donnera une véritable visibilité à ces alternatives. Elles sont aujourd’hui massivement en voie d’adoption dans la production logicielle. Plus ou moins bien, mais ça, c’est une autre histoire…
L’origine de l’agilité et de la qualité de vie au travail reposent donc sur un socle commun. Pourtant, on les aborde sous des angles et avec des finalités tout à fait distincts. L’enjeu initial de la qualité de vie au travail est celui de la santé et du bien-être au travail. L’enjeu de l’approche agile (et du Lean) est celui de l’efficacité de la production et de son adéquation avec le besoin.
Prendre soin de l’humain, c’est bon pour l’entreprise ?
Pour autant, ces motivations initiales distinctes débouchent sur un même fondement sous-jacent. Le potentiel humain d’une entreprise est un capital précieux à préserver et à bonifier.
Ainsi, prendre soin de ce potentiel confère de nombreux avantages concurrentiels.
D’une part, cela permet une gestion plus efficace, notamment par l’implication et la fidélisation des salariés et par les améliorations opérationnelles susceptibles d’en résulter (qualité, réduction de gaspillage, etc). D’autre part, la valorisation du facteur humain crée des conditions favorables à l’innovation. C’est-à-dire un écosystème humain et organisationnel au sein de l’entreprise qui lui est propice.
On pourrait là légitimement vouloir faire le procès des démarches Lean et Agile qui prennent soin du salarié à des fins d’efficience. La démarche ne serait-elle pas entachée par cette vile motivation capitalistique ? Et donc susceptible de ne pas être réellement vertueuse pour l’humain ?
Les démarches Lean et Agile, un réel atout pour l’entreprise ?
Si Toyota avait eu les moyens de faire du fordisme, peut-être aurait-il pu appliquer ce modèle qui dominait alors. Mais l’entreprise a finalement inventé une nouvelle voie. Quoi qu’il en soit, lorsque la contrainte oblige à innover, il arrive que, sur ce chemin créé par l’innovation, de nouveaux éléments apparaissent. Ces découvertes transforment l’expérience et les motivations initiales.
Pour réfléchir in concreto, prenons une organisation lambda, qui connaît des difficultés qui se manifestent de manières diverses. Par exemple, cela pourrait être des problèmes de production (réactivité, qualité, volume), des tensions internes entre services ou entre métiers, des lignes managériales. Tout cela renforce la pression pour atteindre des résultats.
Je prends les paris (avec un risque bien faible) que la qualité de vie au travail est dégradée. Et que, sans traitement adapté, l’ensemble de ces symptômes va s’aggraver dans une spirale systémique. C’est ce qu’on appelle familièrement le « cercle vicieux ».
Au-delà des premiers impacts sur le psychisme et le bien-être au travail, l’évolution future prévisible de cette organisation sera une dégradation économique. Puis elle sera certainement financière (et avec très peu de chances de pouvoir innover pour se sortir de cette spirale descendante).
Alors, quelles seraient les perspectives de redressement à un stade encore précoce ?
Je vous propose d’imaginer le scénario A (*1). Une démarche sérieuse d’amélioration de la qualité de vie au travail est mise en place. Des dérives et dysfonctionnements organisationnels, relationnels, managériaux seront identifiés comme des vecteurs ou des causes de dégradation de la qualité de vie au travail. La raison d’être de l’organisation est de créer de la valeur pour ses clients ou utilisateurs. Il existe un lien fréquent entre « se sentir bien au travail » et avoir les moyens de « faire du bon travail ». Autrement dit, de créer de la valeur.
Je fais l’hypothèse que la convergence entre qualité de vie au travail et efficacité se vérifie au niveau de chaque organisation (*1). Il peut évidemment exister un antagonisme difficilement réductible sur des postes spécifiques. Par exemple, nous pouvons illustrer cela avec des postes dédiés à gérer l’insatisfaction, tels qu’un service de réclamation. Il sera dans ce cas plus difficile d’atteindre un niveau de qualité de vie au travail en rapport avec la qualité du traitement des réclamations.
Prenons maintenant le scénario B. Une démarche sérieuse d’agilisation est mise en place. Les mêmes dérives et dysfonctionnements organisationnels, relationnels, managériaux seront encore plus rapidement traités. Car la démarche vise en premier lieu la mise en place des conditions d’efficacité opérationnelle. L’amélioration des conditions d’épanouissement au travail en sera une conséquence mécanique.
Par exemple, avec la mise en place de rituels agiles, qui donnent des repères. Mais aussi avec l’approche orientée solution, l’apprentissage et l’amélioration continue qui redonnent confiance et sérénité. Ou encore avec la possibilité réelle d’agir et d’autonomie pour chacun, qui redonne les degrés de liberté indispensables pour le bien-être comme pour l’efficacité.
Est-il alors possible de dire que les démarches de la qualité de vie au travail et l’agilité sont équivalentes en termes de résultats ?
Ce serait réducteur, car la qualité de vie au travail couvre de manière directe bien d’autres enjeux (santé au travail, égalité, etc.). Enjeux que l’agilité pourrait au mieux adresser par un effet de ricochet hypothétique.
En revanche, zoomons sur la seule dimension de la qualité de vie au travail relative au bien-être lié au travail (et à ses conditions organisationnelles plus ou moins épanouissantes). La question de la comparaison a alors davantage de sens.
Les outils de remédiation aux dysfonctionnements de l’organisation peuvent être très divers. Rien n’empêcherait un bon praticien QVT, qui maîtrise par ailleurs l’agilité, de mobiliser les pratiques agiles pour une démarche QVT. Toutefois, l’agilité est encore beaucoup associée au monde informatique. Il n’est pas certain que les praticiens de la qualité de vie au travail maîtrisent suffisamment les outils agiles.
Avec des outils différents, les résultats dans un contexte donné peuvent s’incarner sous des formes spécifiques difficiles à comparer. La question reste donc ouverte aux retours d’expérience des praticiens de la qualité de vie au travail.
Alors, l’agilité est-elle un bon moyen de mettre en place une démarche de qualité de vie au travail ?
L’expérience d’accompagnement agile le confirme toujours et en tout contexte. Une bonne démarche agile est d’abord une démarche qui redonne aux équipes opérationnelles la place qu’elles méritent de tenir dans la contribution à la création de valeur. Cette revalorisation de l’équipe, par l’autonomie et la confiance, est un marqueur fort. Cela indique qu’une démarche agile est en bonne voie pour réussir. Et cela consolide la poursuite de la démarche grâce à cette « énergie positive » créée au sein de l’organisation.
De mon point de vue d’agiliste, j’ai rencontré des situations et des enjeux très différents. Un des premiers chantiers, et souvent le premier, est de remettre en condition opérationnelle des équipes qui ont été « cassées ». Puis il faut recréer les conditions de la confiance, de l’espoir même. Cela passe d’abord par du processus opérationnel. Il apporte rapidement des bénéfices secondaires vertueux, tels que retrouver la capacité de produire, d’agir, d’exprimer une pensée critique, d’être entendu. Et cela permet d’améliorer la production. Tout cela donne aux individus et aux équipes un réel pouvoir et une fierté professionnelle.
Aussi, sans avoir les grilles de lecture de la qualité de vie au travail, il me semble que les agilistes sérieusement engagés pour accompagner leur client apportent une contribution majeure sur certains composants de la qualité de vie au travail. Pour une entreprise donnée, ces composants peuvent être centraux.
La complémentarité entre l’agilité et la qualité de vie au travail
La démarche QVT présente quant à elle l’avantage d’adresser l’intégralité des composants de la qualité de vie au travail. Nombre d’entre eux ne sont pas directement couverts par une démarche agile. Comme par exemple l’égalité professionnelle, les conditions sanitaires ou encore la gestion des carrières.
Il est donc plus pertinent d’articuler ces deux approches en complémentarité, selon les besoins et les difficultés d’une entreprise donnée. Et ce, afin de maximiser les bénéfices de ces démarches.
Cette complémentarité peut être renforcée par l’interaction entre elles, jusqu’à des services symbiotiques. Par exemple, une démarche agile peut “ouvrir la voie” et remettre en état opérationnel un service de production. Cela donne l’appui nécessaire à une démarche de qualité de vie au travail qui adresse des difficultés dans la gestion des carrières et la formation. Ou inversement, selon le besoin spécifique de l’entreprise !
Mais les motivations « business » de l’agilité n’entachent-elles pas les préoccupations de la qualité de vie au travail ?
Au-delà de l’association forte entre la qualité de vie au travail et le dynamisme économique d’une organisation, la belle histoire (qui se finit bien) de cette entreprise lambda illustre que ce qui compte, ce n’est pas tant d’où on part, mais où l’on va. Ainsi que la qualité du cheminement.
Une entreprise pourrait lancer une démarche agile avec une compréhension faible du rôle central du « facteur humain ». Si elle est suffisamment bien guidée et capable d’évoluer, elle pourra arriver à d’excellents résultats. Ceux-ci s’expriment autant sur des bénéfices d’épanouissement au travail que sur des gains d’efficience et d’innovation.
A l’inverse, une entreprise qui lance une démarche agile pour des raisons plus « vertueuses* » peut échouer si courage et clairvoyance lui font défaut en chemin.
*Compréhension des enjeux de la qualité de vie au travail, volonté de transformation réelle, etc.
L’expérience nous montre que ce qui fait la différence in fine, c’est, tout comme au sein de l’entreprise, la qualité de l’engagement de ceux et celles qui accompagnent une démarche de transformation d’entreprise.
(1) N’étant pas une spécialiste en qualité de vie au travail, j’invite les experts du domaine à apporter leur regard critique sur ces hypothèses de pensée.