Gérer l’incertitude est une compétence essentielle en Product Management. En effet, le Product Manager face à l’incertitude, doit avancer sans visibilité parfaite, et parfois même, naviguer dans le brouillard. Dans tous les cas, il devra l’apprivoiser, pour orienter le Produit sans être paralysé par l’incertitude.
Pour illustrer en quoi le Product Management requiert des personnes exceptionnelles (au moins au sens statistique), un premier article abordait l’étendue du spectre de compétences requis pour la création de valeur produit et contribuer à la croissance de l’entreprise.
Un second article montrait que le Product Manager structure l’implication des parties prenantes. Il anticipe le cycle de vie produit, en intégrant les coûts au delà du Build, pour maximiser le ROI.
Un troisième article il était question d’un autre défi du Product Management pour concevoir le Produit : projeter les enjeux des parties prenantes, à divers horizons temporels.
Enfin, un quatrième article montrait la complexité des arbitrages Produit que rencontre un Product Manager. Cette complexité est à la fois liée soit à la conception et réalisation du Produit, soit à son contexte environnemental.
Dans ce cinquième article, nous abordons un aspect complémentaire : la gestion de l’incertitude par le Product Management.
Pour rappel, un Product Manager couvre des champs d’intervention vastes et divers (voir un résumé du rôle ici).
Progresser dans le cône d’incertitude
Le cône d’incertitude est une représentation graphique de l’évolution typique de l’incertitude pendant un projet, avec les jalons du projet, les étapes clés (sur l’axe horizontal), et le degré d’erreur ou la variabilité des prévisions (sur l’axe vertical).
Ce concept illustre deux éléments :
- l’incertitude est maximale au démarrage du projet. C’est le moment où il existe le plus d’inconnues. Le champ de leurs évolutions possibles est vaste : on pourrait tenter de le calculer en appliquant à chaque évolution possible la puissance n (selon n parties prenantes, n nouvelles options en découlant, etc).
- l’incertitude diminue progressivement, à mesure que le projet avance et que des informations sont collectées et consolidées. Le champ des évolutions possibles se réduit mécaniquement au fur et à mesure des décisions projet et des feedbacks.
Le niveau d’incertitude résulte notamment du ratio entre connu/inconnu, et prévisible/imprévisible.
L’intérêt du concept est la représentation visuelle de la gestion des risques.
En effet, les risques sont plus importants en début de projet, tant en termes de probabilités que d’impact potentiel. À mesure que ces éléments inconnus ou potentiellement variables sont définis, les risques diminuent mécaniquement.
J’utilise ici ce concept, habituellement utilisé dans le développement logiciel, afin d’expliquer les difficultés du Product Management. Ce concept a été popularisé par Mike Cohn, en particulier pour les estimations.
En abscisse, l’écoulement du temps : on voit bien que l’incertitude maximale est au début du projet.
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Apprivoiser l’incertitude via le Product Management
En premier lieu, le Product Manager est donc celui qui porte cette incertitude maximale au démarrage du projet. C’est nécessairement une source d’inconfort. Selon l’expérience du Product Manager, cet inconfort peut se concrétiser par un stress modéré jusqu’à des décisions préjudiciables au projet.
Cela peut générer du déni, créer un sentiment de manque de contrôle et d’anxiété.
En cas de situation de stress aggravé, cette intranquillité peut aller jusqu’à des formes de panique. Ce peut se traduire par des décisions Produit de repli, des actions de justification motivées par la peur).
Par exemple, un Product Manager vivant mal l’inconfort de l’incertitude peut rencontrer 3 risques :
- Décider trop tôt et figer des options structurantes sans avoir suffisamment d’informations ou de feedbacks (terrains, experts techniques, etc). Le risque est une majoration du délai et du coût (et au pire, un résultat Produit dégradé, voire un échec).
- Ignorer (parfois inconsciemment) des options alternatives ou des changements profitables au produit. Des opportunités sont alors perdues.
- Choisir les options les plus prudentes et conservatrices : il évite alors toute prise de risque, même ceux raisonnables et maitrisés. Cela peut être au détriment de l’innovation.
Comment donner confiance dans un contexte dominé par l’incertitude ?
Voilà un autre beau défi à relever par le Product Manager !
L’Agilité offre des ressources (notamment la transparence et le partage des risques) pour bâtir une collaboration basée sur la confiance. Les frameworks et outils agiles ont été conçus pour justement pouvoir créer de la valeur en situation complexe où domine l’incertitude.
Les rituels et pratiques agiles permettent précisément de réduire l’incertitude, avec une approche centrée utilisateurs et une collaboration au sein de l’équipe étendue pour faire dialoguer toutes les expertises utiles.
L’incertitude : quand y’en a plus, y’en a encore !
La plupart des mauvaises surprises ne sont que le dénouement d’un risque, déjà identifié par un professionnel éclairé, comme une hypothèse (plus ou moins probable et plus ou moins impactante).
Il s’agit d’apprécier des hypothèses prévisibles, et donc de débats d’experts.
Mais l’imprévisibilité peut être relative. Elle dépend alors du champ de vision, et donc de “là on est”.
Concrètement, une pandémie mondiale issue d’un coronavirus était dans les scenarios probables des épidémiologistes. A ce titre, ce scénario était intégré par les analystes de risques stratégiques depuis plus d’une dizaine d’années. Mais pour autant, hors de ce cercle d’expertise, ce scénario était inexistant.
Du point de vue d’acteurs non professionnels du risque sanitaire, comme un chef d’entreprise ou un Product Manager, ce risque n’existe pas. Il n’est pas dans le champ de vision, sauf à projeter des scénarios de science-fiction.
Tous ces risques restent donc invisibles hors du champ de spécialité concerné : seuls les experts du domaine voient l’évolution des facteurs de risque.
Il est évident que le Product Manager d’un produit de santé ou de divertissement, ne peut suivre l’évolution des risques hors de son domaine. Or, de nombreux risques avec des effets systémiques peuvent l’impacter (l’activité volcanique, l’impact d’un procès médiatique, une dissolution, etc). Tout cela relève de l’imprévisibilité la plus complète pour cet acteur. Les meilleures projections d’un bon Product Manager peuvent se trouver bousculées.
Cela rend davantage impossible encore de prévoir avec certitude ce qui se produira.
Ce qui amène sur le dernier aspect de l’incertitude.
La capacité de remise en question du Product Management
Le Product Manager est déjà actif sur plusieurs horizons temporels pour une production de valeur fluide. Il travaille aussi sur plusieurs horizons temporels en termes d’objectifs, en y intégrant des données connues, probables et des hypothèses.
Il fait déjà preuve d’une grande souplesse cérébrale en détricotant ce qu’il a patiemment construit pour y intégrer ce qui crée la valeur Produit : feedback des utilisateurs, parties prenantes, etc.
A cela s’ajoute l’imprévu du marché, de la concurrence, des évolutions internes de l’entreprise, et d’évènements externes impactant son secteur.
Concrètement, prenons l’exemple de la roadmap Produit : le Product Manager a optimisé la mise sur le marché par le découpage en releases. Il sait bien sûr qu’il devra actualiser et reprioriser avec les retours terrain, le rythme d’avancement, de nouvelles opportunités, etc.
Cependant, il arrive que les changements soient plus importants que ce qu’il imaginait possible.
Alors, il devra défaire un travail qu’il croyait derrière lui : c’est ingrat et émotionnellement difficile.
Le Product Manager cherche à se forger des certitudes, qui sont un socle pour avancer.
Mais il doit rester prêt à le déconstruire : cela nécessite de la clairvoyance et de la persévérance pour revenir en arrière, défaire et refaire.
Le cauchemar du Product Manager
Il arrive, et c’est bien plus difficile, que le retour arrière ne soit pas causé par de nouvelles données, mais par une meilleure compréhension des éléments initiaux.
Cela est inhérent au métier : en effet, dans toute démarche de conception, il existe des angles morts, des effets d‘optiques, des lectures erronées et des interprétations faussées.
Pour autant, c’est rude à vivre : le Product Manager a mobilisé toute son énergie et tout son talent pour produire la meilleure Roadmap possible … et malgré tout il n’a pas tout vu !
Cela est liée au fait que le Product Manager résout un grand nombre d’hypothèses. Il jongle avec un grand nombre de facteurs d’incertitude : aussi, sur le volume, il est quasi fatal que certains éléments ne soient pas correctement pris en compte.
Un bon Product Manager n’est donc pas quelqu’un qui ne commet aucune erreur d’appréciation, ni aucun oubli (c’est une vue de l’esprit, un idéal théorique) : c’est celui qui les corrige rapidement, avec modestie et pragmatisme.
Les erreurs d’appréciation sont inévitables : les gérer nécessite beaucoup de courage et d’humilité.
L’incertitude en toile de fond
Nous avons vu que le contexte du Product Management est fondamentalement incertain : certains paramètres sont flous ou inconnus, et ceux qui sont connus sont susceptibles d’évoluer à tout moment.
Le Product Manager doit s’outiller et se former pour saisir les nouvelles opportunités dans le contexte marché afin de l’intégrer avantageusement à sa roadmap produit.
Cela nécessite des qualités, mais aussi des outils intellectuels et du soutien : faire marche arrière, et défaire ce que l’on a construit, est difficile opérationnellement et humainement.
Cette capacité à se remettre en question est exigeante et difficile nécessite aussi une grande humilité. Nous développerons ce point dans un prochain article.
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En résumé : apprivoiser l’incertitude & avancer dans le brouillard grâce aux pratiques du Product Management
Faire face à l’incertitude peut être éprouvant. Le Product Manager doit savoir accepter de revenir sur certaines décisions et ajuster son travail, ce qui peut être difficile tant sur le plan opérationnel qu’humain.
Un Product Manager dénoue les incertitudes avec souplesse, réévalue constamment la situation et ajuste pour garantir le succès Produit.
Et vous, comment votre entreprise aide t-elle ses Product Managers à développer des compétences spécifiques pour gérer l’incertitude ? à developper ses qualités personnelles, à affiner ses outils intellectuels pour ajuster ses choix tout au long du processus de développement Produit ?